Après le démantèlement de l’Union soviétique (1991), la Russie a connu une dégringolade économique spectaculaire, qui s’est traduite par une chute de la production, du niveau de vie et même de l’espérance de vie, tandis que le déficit commercial et le déficit public battaient des records. En 1998, la Russie faisait carrément défaut sur sa dette extérieure (manuel, 5e édition, p. 201) et on ne donnait pas cher de l’avenir économique de cette ex-grande puissance.
Toutefois, lors de son arrivée au pouvoir (septembre 1998), le nouveau premier ministre Evgueni Primakov procéda à une série de réformes audacieuses, dont certaines commencèrent à porter leurs fruits dès l’année suivante. Rejetant les dogmes néolibéraux, Primakov tourna le dos à la politique d’austérité (en stimulant la consommation des classes moyennes), lança une politique industrielle (en soutenant des secteurs clés) et, surtout, encouragea une dévaluation sévère de la devise. La hausse des exportations, qui suivit cette dévaluation, permit de relancer la production, tandis que la baisse des importations favorisait les entreprises locales. Très vite, la Russie renoua avec des surplus commerciaux, ce qui lui permit de liquider rapidement sa dette extérieure. En 2000, Poutine fut élu président de la Russie. Bien qu’étant alors le rival de Primakov, Poutine continua cependant les politiques de son prédécesseur, en mettant notamment sur pied une stratégie de développement industriel.
Qu’en est-il de l’économie russe à l’automne 2014? Si on se fie aux dirigeants occidentaux, et à la grande presse un peu trop unanime, « l’économie russe est en ruines » (Barack Obama), « la Russie n’est qu’une vaste station-service » (John McCain), les Russes sont soumis à de terribles privations (les journaux), la Russie croule sous les dettes (la télé).
Comme tout bon étudiant, nous ne pouvons nous satisfaire d’informations aussi caricaturales. Plutôt que de faire confiance à des politiciens ou à des oligopoles de presse, pourquoi ne pas aller vérifier par nous-mêmes? La chose est d’autant plus facile que les données statistiques sont aujourd’hui disponibles gratuitement grâce à quelques simples clics de souris. Nous avons donc interrogé la base de données de la Banque mondiale (qu’on ne peut taxer d’anti-américanisme) sur cinq indicateurs clés. Les résultats sont présentés ci-après sous forme de graphiques. (Nos lecteurs peuvent aussi consulter directement le chiffrier contenant toutes les données extraites.)
Jusqu’à la récession mondiale de 2009, la croissance de l’économie russe bat des records, ce qui permet de relever substantiellement le niveau de vie de la population, et notamment celui des retraités. Même s’il est normal pour la Russie de connaître une croissance plus rapide que les États-Unis (effet de rattrapage), l’écart entre les deux pays demeure cependant saisissant.
À première vue, la Russie a encore du chemin à faire pour rattraper les États-Unis. Cependant, la situation mérite d’être nuancée. Tout d’abord, en 2000, le PIB/habitant était 21 fois plus élevé aux États-Unis qu’en Russie. En 2013, ce ratio n’est plus que de 4. Par ailleurs, si on tient compte de la parité des pouvoirs d’achat (données ne figurant pas sur ce graphique), la Russie se rapproche encore des États-Unis. Enfin, on peut constater que l’Ukraine, plus riche que la Russie au moment de son indépendance (1991) peut se targuer d’un bilan économique désastreux.
(Note : Nous utilisons ici le Revenu national brut par habitant (RNB/h), qui est une simple variante du PIB/h.)
Contrairement aux idées reçues, le déficit du commerce extérieur se trouve du côté des États-Unis, qui, grâce à l’utilisation du dollar comme monnaie internationale, ont pu se permettre de ne jamais rééquilibrer leur balance courante. Le surplus commercial confortable de la Russie a contribué à l’élimination presque totale de la dette extérieure.
Si la Russie connaissait un niveau d’endettement comparable à celui des pays occidentaux au début des années 2000, la situation a radicalement changé depuis. Après la récession de 2009, le ratio Dette publique/PIB a explosé aux États-Unis (et dans nombre d’autres pays), tandis que celui de la Russie est descendu à un niveau qui ferait pâlir d’envie ses concurrents.
Rappelons que les données proposées dans ce dossier proviennent toutes de la même source et sont traitées selon une méthodologie homogène, ce qui permet de comparer des pays très divers. Dans son calcul du taux de pauvreté, la Banque mondiale tient compte des particularités locales (coût de la vie, accès à certains services gratuits, etc.). On peut donc affirmer en toute confiance que, au début des années 2000, la proportion de pauvres en Russie dépassait largement celle des États-Unis. Une décennie plus tard, le taux de pauvreté a radicalement baissé en Russie, tandis qu’il grimpait aux États-Unis. Contrairement aux croyances largement véhiculées dans les médias occidentaux, la proportion de pauvres est aujourd’hui nettement plus élevée aux États-Unis qu’en Russie.
Sur ce graphique, nous avons inclus le Japon, champion de l’espérance de vie (les États-Unis se situeraient plutôt en queue de peloton des pays occidentaux). Force est de constater que l’espérance de vie des Russes est sensiblement inférieure à celle des Américains. Au cours des années 1990 (période de la thérapie de choc néolibérale), on a même assisté à un effondrement dramatique et inusité de cet indicateur, à tel point qu’on se posait des questions sur la pérennité du peuple russe. Cependant, la tendance s’est radicalement retournée à partir de l’an 2000.
En conclusion, rappelons que le but de tout chercheur n’est pas de faire la promotion d’une idéologie ou d’un pays particuliers, mais plutôt de tendre vers la vérité. Les figures présentées ici démontrent de façon éloquente que cette réalité est parfois très éloignée du portrait véhiculé dans les grands médias. Nous invitons donc les étudiants à profiter davantage des bases de données disponibles en ligne, en essayant, par exemple, de déceler les points faibles de l’économie russe (que nous avons sans doute négligés), ou en se livrant à de nouvelles comparaisons (autres pays, autres variables, autres époques).