L’effet réel des tarifs


 

L’effet des tarifs douaniers sur la production intérieure est souvent plus important qu’il n’en a l’air à première vue. D’abord, lorsque ces tarifs portent sur des produits intermédiaires (des matières premières, des pièces détachées, des tissus, etc.), ils nuisent à la compétitivité des industries locales. Ensuite, lorsque les tarifs s’appliquent à des produits finis, le taux de protection effective est parfois très différent du taux nominal. Enfin, l’effet des tarifs est différent selon que le pays pèse plus ou moins lourd dans le marché mondial.

L’incidence des tarifs sur les intrants

Les tarifs réduisent-ils la compétitivité des industries exportatrices?

De nombreuses entreprises s’approvisionnent en produits intermédiaires à l’extérieur des frontières. Cela est de plus en plus vrai avec la spécialisation croissante (et en constante évolution) de la production. L’une des plus grandes craintes des entreprises modernes est de manquer de matières premières ou de pièces, ou de voir le prix de ces dernières augmenter indûment.

Les fabricants américains de micro-ordinateurs sont particulièrement sensibles à ce phénomène. Ils cherchent continuellement à diversifier leurs sources d’intrants, à l’intérieur du pays comme à l’étranger, et ce, dans un environnement technologique qui connaît un changement très rapide. Pour ces manufacturiers, les droits de douane sur les composantes électroniques se traduisent immanquablement par des hausses de coûts. Si ces industries n’étaient pas protégées à leur tour, elles seraient alors défavorisées par rapport aux concurrents étrangers: situation paradoxale dans la mesure où cela serait dû aux mesures protectionnistes de leur propre gouvernement. Si, par contre, les fabricants américains d’ordinateurs étaient eux-mêmes protégés par des barrières protectionnistes, les dommages seraient transférés à leurs clients: les banques, les commerces, le secteur public, etc. Le chapeau aurait changé plusieurs fois de tête sans que la question soit véritablement réglée. L’article encadré qui suit illustre les revendications des compagnies américaines d’ordinateurs à une époque critique de leur développement.

Le problème touche également les pays en voie d’industrialisation, comme le montre l’exemple suivant. Avant que des mesures de libéralisation des échanges soient prises sous la présidence de Salinas de Gortari, les producteurs de pièces d’automobiles mexicains se voyaient presque forcés d’acheter de l’acier local, ce qui augmentait leurs coûts de production. Une telle situation minait leur compétitivité par rapport aux concurrents de pays où l’acier étranger entre librement. À partir de 1986, le démantèlement de certaines barrières protectionnistes a graduellement permis aux entreprises mexicaines de pièces de s’approvisionner en acier brésilien, beaucoup moins cher. La baisse des coûts a favorisé le développement du secteur des pièces d’automobiles, installé essentiellement à proximité de la frontière américaine, le plus près possible de ses clients.

 

La protection nominale, la valeur ajoutée et la protection effective

Le protectionnisme a généralement plus de conséquences qu’il n’en a l’air. L’exemple (fictif) qui suit illustre l’écart pouvant exister entre le tarif nominal, ou officiel, et le tarif effectif.

Le tarif effectif s’avère parfois nettement supérieur au tarif officiel ou nominal.

Le Maroc produit du tissu qu’il expédie aux fabricants de jeans québécois et brésiliens. Supposons qu’un jeans produit au Québec coûte 55 $ (dont 40 $ pour le tissu importé du Maroc), que le même jeans produit au Brésil revienne à 50 $ et que les Brésiliens obtiennent leur tissu au Maroc au même prix que les Québécois. L’industrie québécoise du vêtement est inquiète. Les jeans brésiliens risquent d’envahir le marché et de créer du chômage.

À la suite des pressions de l’industrie, le gouvernement accepte de taxer les jeans étrangers (à 10 %) à leur arrivée au Québec. Le gouvernement fait valoir que le tarif est très léger et qu’il permet de rétablir l’équilibre. Les consommateurs québécois pourront choisir librement entre des jeans québécois, à 55 $, et des jeans brésiliens, à 55 $ également [50 $ + (50 $ × 10 %) = 50 $ + 5 $ = 55 $].

Le Brésil proteste vigoureusement. Il trouve le tarif excessif. Par mesure de représailles, il décide de taxer le papier québécois (dont le commerce équivaut à peu près à celui des jeans) à 50 %. La réaction du Brésil est-elle exagérée?

Pour répondre, il faut tenir compte du concept de « valeur ajoutée ». Que font les producteurs de vêtements québécois? Ils transforment 40 $ de tissu en une paire de jeans qui vaut 55 $. Leur production propre, leur valeur ajoutée, n’est en fait que de 15 $ (55 $ – 40 $). Les Brésiliens sont plus efficaces puisqu’ils arrivent à tailler, à coudre et à emballer les jeans pour 10 $ seulement (50 $ – 40 $): la valeur ajoutée brésilienne est de 10 $. Lorsque l’on taxe les jeans, on ne taxe en réalité que la valeur ajoutée, puisque le tissu entre librement dans les deux pays. Le tarif de 5 $ représente donc une taxe de douane de 50 % sur la valeur ajoutée brésilienne (5 $ / 10 $ = 50 %).

En résumé, lorsque le Québec achète des jeans brésiliens au coût de 50 $, il achète en réalité 40 $ de tissu au Maroc et 10 $ de confection au Brésil. Comme le tissu marocain n’est pas taxé, le tarif douanier ne s’applique qu’à la partie produite par le Brésil. Les manufacturiers québécois bénéficient d’un tarif effectif de 50 % par rapport à leurs concurrents brésiliens (voir la figure qui suit).

En apparence, le tarif sur les jeans brésiliens n’est que de 10 %, puisque leur prix passe de 50 $ à 55 $ en franchissant la douane québécoise. Cependant, comme le tissu circule librement entre les pays, seule la confection se trouve effectivement taxée. Le tarif effectif est alors de 50 % (15 $ avec le tarif, contre 10 $ sans le tarif).

 

Les puces de mémoire : avertissement au Congrès américain

Dennis Allen
Extrait de l’éditorial du numéro de mars 1992 de Byte Magazine

Il y a longtemps que le Congrès s’efforce de soutenir l’industrie américaine des semi-conducteurs. On se rappellera tous ces gros titres sur l’invasion japonaise du marché des puces de mémoire, et les effets désastreux de cette invasion sur les manufacturiers américains, incapables de résister à un dumping aussi féroce. À première vue, on pourrait penser que les restrictions aux importations de puces de mémoire aident les producteurs américains et protègent les emplois. Par contre, toute forme de restriction se traduit immanquablement par une hausse substantielle des prix. Une telle hausse du prix des puces de mémoire entraînerait une hausse du prix des micro-ordinateurs, ce qui va tout à fait à l’encontre de la tendance actuelle.

Rappelons les faits: il y a quelques années à peine, il y avait une pénurie de puces de mémoire et les prix étaient élevés. Si élevés d’ailleurs que les micro-ordinateurs ne contenaient guère plus d’un mégaoctet de mémoire. Cela était tout à fait insuffisant pour faire fonctionner un programme sous Windows par exemple, ou tout autre logiciel d’envergure. Il a fallu une baisse sensible du prix des puces de mémoire pour forcer les entreprises à produire des systèmes bon marché contenant de deux à huit mégaoctets de mémoire. En somme, le public s’est procuré des ordinateurs plus puissants, capables de faire fonctionner des logiciels plus performants, de telle sorte que la productivité s’en est trouvée augmentée. Voilà un bel avantage concurrentiel, et le Congrès voudrait nous l’enlever?

La mise en place de mesures protectionnistes donnera un coup d’arrêt à l’élan que connaît le marché des ordinateurs. Le développement de l’industrie informatique, aussi bien sur le plan du matériel que sur celui du logiciel, serait mis en péril. Un prix élevé des puces de mémoire signifierait le retour aux systèmes moins puissants. Par contre, avec des puces de mémoire abondantes et bon marché, chaque travailleur, et chaque entreprise, voit sa productivité augmenter. La compétitivité de tout le pays en sort renforcée. Est-ce que ces gains de compétitivité signifient de nouveaux emplois? Sans doute, mais laissons au Département du Travail le soin d’en juger.

Ce qui est certain, c’est que, si des restrictions commerciales sont votées, il faudra dire adieu aux puces de mémoire bon marché. Ce serait non seulement dommage, ce serait même inadmissible. Au mieux, cela relèverait de la myopie, au pire de la stupidité. Les barrières protectionnistes n’ont généralement pas de sens. Il faut que le Congrès se rende compte que les électeurs sont capables de voir plus loin que le bout de leur nez et d’aller au-delà des avantages à très court terme.

(Reproduit avec la permission de Byte Magazine.) Traduit de l’anglais par Renaud Bouret.

 

Commentaire

Rappelons la hausse phénoménale du prix des puces de mémoire RAM pour micro-ordinateur en 1988 aux États-Unis. Le mégaoctet passa de 80 $ à 600 $ en l’espace de quelques mois, faisant augmenter fortement le prix des ordinateurs, des cartes graphiques et des imprimantes. Si les mesures protectionnistes donnèrent un répit (d’ailleurs très temporaire) au secteur menacé, elles causèrent un ralentissement dans l’informatisation de l’industrie et des services aux États-Unis. (Notons que le mégaoctet de mémoire se vendait à moins de 0,50 $ en 2002.)

 

Prix de la puce de mémoire 41464-150ns
entre 1986 et 1993 ($US)

Note : Une puce 41464 contient 4 fois 64 kilobits, soit 32 kilooctets. Il faudrait 32 de ces puces pour faire un mégaoctet, et il en faudrait 1024 fois plus pour faire un gigaoctet.
Source : PC Magazine.

Exercice

Le tarif effectif

a) Les chaussures québécoises coûtent 40 $ la paire, dont 30 $ pour le cuir (importé sans taxe d’Argentine) et 10 $ pour la transformation. Les États-Unis imposent un tarif douanier de 25 % sur les chaussures québécoises. Quel est le tarif effectif que doivent payer les exportateurs québécois de chaussures?

b) Nous reprenons les chiffres de la question a, mais cette fois les États-Unis taxent également le cuir argentin à 10 %. Quel est le tarif effectif que doivent payer les exportateurs québécois de souliers?

 

Corrigé

a) Le tarif américain est de 25 %. Il représente 10 $ par paire de chaussures [25 % × 40 $]. En réalité, seul la valeur ajoutée au Québec est taxée. Celle-ci s'élève à 10 $ [40 $ moins les 30 $ de cuir argentin]. Le tarif effectif est donc de 10 $/10 $ = 100 %.

b) Cette fois, une partie du tarif de 10 $ s'applique au cuir argentin contenu dans les chaussures québécoises [10 % × 30 $ = 3 $]. Le reste du tarif (10 $ – 3 $ = 7 $) s'applique à la transformation du cuir en chaussures. Le tarif effectif payé par le Québec est de 7 $/10 $ = 70 %.

 

© Supplément à Relations économiques internationales, 4e édition, Renaud Bouret, Éditions Chenelière Éducation, Montréal