On se rappellera qu'au début des années 2000, l'industrie américaine de l'acier était en pleine déconfiture (voir le manuel, page 70 : Les États-Unis entre protectionnisme et libéralisme). Le président George Bush Jr, bien qu'apôtre du laisser-faire et du libre-échange, décida de voler au secours de cette industrie, et de ses 600 000 travailleurs, en imposant, en mars 2002, une série de mesures protectionnistes.
Justifications, plaintes et verdict
Puisque les États-Unis sont membres de l'OMC, il fallait trouver une justification légale aux tarifs et quotas imposés de façon unilatérale aux concurrents étrangers. Les Américains invoquèrent donc la Clause de sauvegarde. Selon eux, les importations de certains produits sidérurgiques avaient tellement augmenté qu'elles menaçaient de causer des dommages graves et irréparables à la production nationale.
Les réactions ne se firent pas attendre, puisque les pays lésés par ces mesures protectionnistes (l'Union européenne, le Japon, la Corée du Sud, le Brésil, la Chine, la Norvège, la Suisse et la Nouvelle-Zélande) déposèrent une plainte auprès de l'Organisme de réglement des différends (ORD) de l'OMC. Conformément aux statuts de l'OMC, l'ORD a constitué un Groupe spécial pour étudier la question et déterminer le bien fondé des tarifs et quotas imposés par les États-Unis (voir le manuel, page 82). Voici le verdict:
« Le 11 juillet 2003, l'OMC a publié le rapport d'un Groupe spécial qui concluait que les mesures de sauvegarde imposées par les États-Unis à l'importation de certains produits en acier étaient incompatibles avec l'Accord de l'OMC sur les sauvegardes et le GATT de 1994. Le recours avait été déposé par les Communautés européennes, le Japon, la Corée, la Chine, la Suisse, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et le Brésil. »
Cela signifie que les États-Unis devront annuler leurs mesures de sauvegarde s'ils ne veulent pas que l'UE et les coplaignants surtaxent à leur tour des produits américains pour un montant équivalant, comme les y autorisent les règles de l'OMC.Nous vous présentons ci-dessous quelques extraits de ce rapport de plus de 1000 pages (disponible sur le site de OMC) ainsi que les réactions de l'Union européenne au verdict de l'OMC.
Note: Les États-Unis font appel à la décision de l'OMC, mais celle-ci confirme son jugement le 10 novembre suivant. L'Union européenne, entre autres, est alors autorisée à exercer des sanctions équivalent à plus de 2 milliards de dollars pour se dédommager. Certaines études montrent en même temps que les entreprises américaines consommant de l'acier ont été pénalisées par les mesures protectionnistes.
Les justifications des États-Unis
Le 22 juin 2001, le Représentant des États-Unis pour les questions commerciales internationales (USTR) a demandé l'ouverture d'une enquête en matière de sauvegardes au titre de l'article 201 de la Loi de 1974 sur le commerce extérieur pour déterminer si certains produits en acier étaient importés aux États-Unis en quantités tellement accrues qu'ils constituaient ou menaçaient de constituer une cause substantielle de dommage grave pour la branche de production nationale de produits similaires ou directement concurrents par rapport aux produits importés.
Les États-Unis font valoir l'existence d'un dommages et mettent en place des mesures protectionnistes pour contrecarrer ces dommages.
S'agissant des huit produits pour lesquels des déterminations positives de l'existence d'un dommage avaient été faites, l'USITC [Commission du commerce international des États-Unis] a recommandé un programme de droits de douane et de contingents tarifaires d'une durée de quatre ans:
a) un droit additionnel de 20 pour cent ad valorem, devant être ramené à 17 pour cent la deuxième année, à 14 pour cent la troisième année et à 11 pour cent la quatrième année pour i) certains produits plats en acier au carbone ou en aciers alliés (à l'exclusion des brames); ii) les barres laminées à chaud en acier au carbone ou en aciers alliés; iii) les barres parachevées à froid en acier au carbone ou en aciers alliés; et iv) le fil machine en aciers inoxydables;
b) un droit additionnel de 15 pour cent ad valorem, devant être ramené à 12 pour cent la deuxième année, à 9 pour cent la troisième année et à 6 pour cent la quatrième année pour v) les barres en aciers inoxydables; (...)
Sur la base du rapport complémentaire du 4 février 2002 de l'USITC, le Président des États-Unis a décidé d'exclure les importations en provenance du Canada et du Mexique de l'application de toutes les mesures de sauvegarde. Les importations en provenance d'Israël et de la Jordanie ont également été exclues.
Les arguments des plaignants
Les Communautés européennes demandent au Groupe spécial de constater ce qui suit:
Les États-Unis n'ont pas prouvé: l'augmentation soudaine des importations; l'existence d'un dommage grave; la relation de cause à effet entre ces deux éléments; le bien-fondé du choix des pays visés et exclus.
a) Les États-Unis, d'une manière incompatible avec l'article 2:1 de l'Accord sur les sauvegardes, ont groupé de nombreux produits différents aux fins de déterminer s'il y avait un accroissement des importations à des conditions telles que cet accroissement causait un dommage et, d'une manière incompatible avec les articles 2:1 et 4:2 a) lus conjointement avec l'article 4:1 c) de l'Accord sur les sauvegardes, n'ont pas identifié les branches de production nationales de produits similaires ou directement concurrents par rapport à ceux qui étaient prétendument importés en quantités accrues.
b) Les États-Unis ont, d'une manière incompatible avec l'article 2:1 de l'Accord sur les sauvegardes, imposé leurs mesures de sauvegarde en l'absence d'un accroissement brutal, soudain, récent et important des importations.
c) Les États-Unis, d'une manière incompatible avec les articles 2:1, 3:1, 4:2 a) et 4:2 c) de l'Accord sur les sauvegardes, n'ont pas donné d'explication adéquate et motivée de l'existence d'un dommage grave, et n'ont pas examiné la situation financière de la branche de production nationale dans son ensemble, comme l'exige l'article 4:2 a) lu conjointement avec les articles 4:1 a) et 4:1 c) de l'Accord sur les sauvegardes.
d) Les États-Unis, d'une manière incompatible avec les articles 2:1 et 4:2 de l'Accord sur les sauvegardes, n'ont pas établi l'existence d'un lien de causalité entre tout accroissement des importations et tout dommage grave étant donné qu'ils ont simplement examiné si les autres causes de dommage ne constituaient pas, pour la branche de production nationale, une source de dommage égal ou supérieur au dommage prétendument causé par l'accroissement des importations et n'ont pas démontré que le dommage causé par d'autres facteurs n'était pas imputé à l'accroissement des importations et en particulier que le dommage causé par les importations en provenance de pays qui avaient été exclus des mesures de sauvegarde (à savoir le Canada, le Mexique, Israël et la Jordanie) n'avait pas été imputé à l'accroissement des importations d'autres provenances, ou n'ont pas expliqué d'une manière claire et non équivoque comment ils l'avaient fait. (...)
Les Communautés européennes considèrent que les violations susmentionnées du GATT de 1994 et de l'Accord sur les sauvegardes ont annulé et compromis les avantages résultant pour elles de l'Accord sur l'OMC et demandent donc au Groupe spécial de recommander que les États-Unis rendent leurs mesures de sauvegarde conformes aux dispositions susmentionnées en les abrogeant.
Le verdict du Groupe spécial de l'ORD
Compte tenu des constatations formulées dans la section X ci-dessus, le Groupe spécial conclut que les mesures de sauvegarde imposées par les États-Unis à l'importation de certains produits en acier à compter du 20 mars 2002 sont incompatibles avec l'Accord sur les sauvegardes et le GATT de 1994.
Les États-Unis ont violé les accords du GATT et de l'OMC; ils doivent retirer toutes leurs mesures protectionnistes dans les plus brefs délais.
Conformément à l'article 3:8 du Mémorandum d'accord, dans les cas où il y a infraction aux obligations souscrites au titre d'un accord visé, la mesure en cause est présumée annuler ou compromettre les avantages résultant de cet accord. En conséquence, le Groupe spécial conclut que, dans la mesure où les États-Unis ont agi d'une manière incompatible avec les dispositions de l'Accord sur les sauvegardes et le GATT de 1994, comme cela a été indiqué ci-dessus, ils ont annulé ou compromis les avantages résultant pour les Communautés européennes de l'Accord sur les sauvegardes et du GATT de 1994.
Le Groupe spécial recommande donc que l'Organe de règlement des différends demande aux États-Unis de rendre toutes les mesures de sauvegarde mentionnées ci-dessus conformes à leurs obligations au titre de l'Accord sur les sauvegardes et du GATT de 1994.
Le fonctionnement de l'OMC
L'affaire est tranchée: que se passe-t-il maintenant?
Allez en prison. Avancez tout droit en prison. Ne passez pas par la case « Départ ». Ne recevez pas... Non, sérieusement, cela ne se passe pas tout à fait ainsi mais le principe est le même. Si un pays a commis une faute, il doit la réparer sans tarder. Et s'il persiste à violer un accord, il doit offrir une compensation ou subir une punition assez sévère. Même une fois que l'affaire a été tranchée, on peut encore agir avant que des sanctions commerciales (forme classique de la punition) ne soient imposées. À ce stade, l'objectif prioritaire est d'obtenir que le « défendeur » désavoué mette sa mesure en conformité avec la décision ou les recommandations. Le Mémorandum d'accord précise que « pour que les différends soient résolus efficacement dans l'intérêt de tous les Membres, il est indispensable de donner suite dans les moindres délais aux recommandations ou décisions de l'ORD ».
Si le pays visé par la plainte perd la partie, il doit mettre en oeuvre les recommandations contenues dans le rapport du Groupe spécial ou le rapport de l'Organe d'appel. Il doit annoncer son intention de le faire à une réunion de l'Organe de règlement des différends tenue dans les 30 jours suivant l'adoption du rapport. S'il ne peut se conformer immédiatement à la recommandation, un « délai raisonnable » pour le faire lui sera fixé. S'il ne s'exécute dans ce délai, il doit engager des négociations avec le ou les pays plaignants afin de trouver une compensation mutuellement satisfaisante, par exemple des réductions de droits de douane dans des domaines présentant un intérêt particulier pour la partie plaignante.
Si, à l'issue d'un délai de 20 jours, aucune compensation satisfaisante n'a été convenue, la partie plaignante peut demander à l'Organe de règlement des différends l'autorisation d'imposer des sanctions commerciales limitées (« de suspendre ... l'application de concessions ou d'autres obligations ») à l'encontre de l'autre partie. L'ORD doit accorder cette autorisation dans les 30 jours suivant l'expiration du « délai raisonnable », à moins qu'il n'y ait consensus pour rejeter la demande.
En principe, les sanctions devraient être imposées dans le même secteur que celui qui fait l'objet du différend. Si cela n'est pas possible ou efficace, elles peuvent être imposées dans un autre secteur visé par le même Accord. Si cela n'est pas non plus efficace ou possible, et si les circonstances sont suffisamment graves, la mesure peut être prise en vertu d'un autre accord. L'objectif est de limiter autant que possible la probabilité que la mesure prise n'ait des répercussions sur d'autres secteurs, tout en assurant son efficacité. Dans tous les cas, l'Organe de règlement des différends surveille l'application des recommandations et décisions adoptées. Toute affaire en suspens demeure à son ordre du jour jusqu'à ce que le problème soit réglé.
Source: OMC.
Réactions de l'Union européenne au verdict
Bruxelles, le 11 juillet 2003
États-Unis - Acier: Victoire totale pour les co-plaignants auprès du Comité de l'OMC sur les mesures de sauvegarde américaines sur l'acier Déclaration de presse de la CE, du Japon, de la Corée, de la Chine, de la Suisse, de la Norvège, de la Nouvelle Zélande et du Brésil
Aujourd'hui, le Comité de l'OMC demandé par la CE [Communauté européenne], le Japon, la Corée, la Chine, la Suisse, la Norvège, la Nouvelle Zélande et le Brésil (co-plaignants) a déclaré que chacune des mesures de sauvegarde américaines, imposées à dix groupes de produits sidérurgiques, était en infraction avec les règles de l'OMC. Les co-plaignants accueillent favorablement la décision du Comité, qui a confirmé leurs principaux arguments, et invitent les États-Unis à mettre fin à leurs mesures de sauvegarde, incompatibles avec les règles de l'OMC, dans les plus brefs délais. Si les États-Unis font appel de la décision du Comité, les co-plaignants continueront à collaborer pour faire en sorte que le Corps d'Appel de l'OMC confirme que les mesures de sauvegarde américaines sur l'acier violent les règles de l'OMC.
Contexte
La Proclamation présidentielle américaine du 5 mars 2002 impose des mesures de sauvegarde sur 10 groupes de produits sidérurgiques, sous forme de tarifs supplémentaires allant jusqu'à 30 %. Immédiatement après, la CE, suivie du Japon, de la Corée, de la Chine, de la Suisse, de la Norvège, de la Nouvelle Zélande et du Brésil, ont entamé une procédure de Règlement des Différends à l'OMC contre ces mesures de sauvegarde américaines sur l'acier.Les co-plaignants ont travaillé en étroite collaboration à chaque étape du processus. Le Comité a donné raison aux principaux arguments présentés par les plaignants et a constaté que :
Source: Union européenne.
Débat
Imaginez une situation fictive dans laquelle l'industrie américaine de l'acier serait vraiment menacée de disparaître. Préparez, à la lumière de cette situation fictive, une nouvelle argumentation destinée à convaincre l'OMC du bien-fondé des mesures protectionnistes imposées par les États-Unis à leurs partenaires étrangers.
Ce travail peut être préparé par un groupe d'étudiants, qui présentera ensuite son dossier devant la classe. Une partie de la classe jouera le rôle des pays plaignants, tandis que l'autre partie jouera le rôle de l'ORD et rendra une décision.
© Extrait de Relations économiques internationales, Renaud Bouret, Éditions Chenelière/McGraw-Hill