Il y a une centaine d'années, de nombreuses ressources étaient encore « illimitées ». On défrichait de nouvelles terres, la majeure partie des océans était inexploitée, l'eau douce paraissait inépuisable et l'atmosphère absorbait allègrement les gaz polluants émis par les usines. Chacun pouvait raser son coin de forêt ou salir son coin d'océan sans que le reste du monde en souffre. Les problèmes de l'environnement n'étaient pas encore reliés à l'économie, et encore moins mondialisés.
Une évolution inquiétante malgré les démarches déjà entreprises
Les progrès accélérés de la science ne font pas qu'améliorer nos conditions matérielles, ils nous renseignent également sur les problèmes qui nous attendent. Ainsi, on sait maintenant avec certitude que le taux de concentration de CO₂ dans l'atmosphère a augmenté aussi vite depuis la révolution industrielle qu'au cours des 20 000 ans précédents. Or, ce phénomène, dû principalement à l'utilisation d'énergie fossile (pétrole et charbon) dans la production et les transports, va en s'amplifiant. Même si la controverse subsiste sur les conséquences de ce problème, on estime que la Terre s'est réchauffée de 0,5 degré au XXe siècle et que le niveau moyen des océans s'est élevé d'une vingtaine de centimètres. On prévoit respectivement de 2 à 2,5 degrés et de 50 cm à 1 m pour le siècle actuel. Cela semble peu, mais il s'agit pourtant d'un bouleversement complet: de nombreuses terres très fertiles et riches en patrimoine génétique seront inondées (les deltas du Nil, du Gange, de l'Amazone, par exemple); les courants marins et les vents, très sensibles aux écarts de température, seront modifiés; le climat sera à son tour affecté, avec des conséquences imprévisibles sur l'agriculture et sur la santé.
Certes, on pourrait bien attendre un peu avant d'agir, le temps de mieux évaluer la situation, mais la dynamique du changement thermique ne s'arrête pas en quelques années. Même si l'on arrivait par miracle à stabiliser le volume des émissions de CO₂, le niveau des océans continuerait à s'élever jusqu'en 2100. Selon un principe économique bien connu, il ne suffit pas de prendre les bonnes décisions, mais il est essentiel de les prendre au bon moment, surtout dans un cas comme celui-ci. Attendre trop longtemps entraînerait des coûts plus grands et serait donc irrationnel.
Des conventions déjà signées.
Étant donné l'urgence de la situation, l'on ne s'étonnera pas que l'humanité se soit déjà attaquée au problème. Le sommet de la Terre (Rio, 1992) préconisait un maintien des émissions mondiales de gaz à effet de serre au niveau de 1990 pendant tout le XXIe siècle, et une baisse des deux tiers par la suite. Le protocole de Kyoto (1997) proposait même un début de réduction des émissions dès 2008. La Convention Biodiversité (Montréal, 2000) a reconnu l'importance de la richesse biologique du globe et la nécessité de la protéger.
Cependant, on parle encore beaucoup plus qu'on agit, et quelques pays (les États-Unis en tête), soumis aux pressions des intérêts privés à court terme (grandes entreprises et lobbies sectoriels) reviennent parfois sur leurs engagements. D'autres pays (le Canada) cherchent des échappatoires, en combinant par exemple augmentation de la pollution avec reboisement, pour arriver à un résultat positif. Enfin, certains pays en développement (la Chine) refusent de porter le fardeau de la solution alors que la moitié des émissions de CO₂ proviennent des pays riches (où l'on retrouve seulement 15 % de la population mondiale) (voir le tableau 12.2).
La politique chinoise de promotion de l'automobile familiale, inaugurée en 2001, signifie non seulement un enfer urbain local (destruction de l'habitat traditionnel, embouteillages, bruit, pollution, accidents), mais aussi une bonne dose supplémentaire de CO₂ pour le reste de la planète. Le gouvernement a cédé d'une part aux pressions des lobbies automobiles locaux et étrangers, et d'autre part à l'urgence de la création d'emplois pour les ex-employés des secteurs d'État et les paysans sans terre. Après tout, si les Américains se permettent d'aller à l'épicerie en auto, pourquoi les Chinois seraient-ils condamnés à le faire en pédalant? On n'ose même pas imaginer se qui se passerait si les Chinois polluaient autant que les Américains [Nous avons quand même osé faire le calcul à partir des données du tableau 12.2: les émissions mondiales de CO₂ augmenteraient de plus de 100 %.]! Si l'on veut régler le problème, l'exemple doit aussi venir d'en haut.
Un enjeu économique majeur
Malgré les progrès de la médecine et un meilleur contrôle de la pollution industrielle, la situation sanitaire se dégrade pour un nombre important d'êtres humains. Les virus et les bactéries profitent du développement des transports et des changements climatiques pour conquérir de nouveaux « marchés ». Certaines maladies sont en recrudescence ou se montrent plus résistantes aux traitements. De nombreuses nappes d'eau sont contaminées par l'activité industrielle et agricole et 50 % de la population mondiale seulement dispose d'une eau potable de qualité. Les toxines générées par les OGM, et dont le but est de détruire les ennemis naturels des plantes, présentent des risques encore inconnus. Ne parlons pas des catastrophes économiques comme les affaires de la vache folle et de la fièvre aphteuse britanniques, dont les causes remontent clairement à la recherche du profit immédiat au mépris du développement durable.
Il semble donc que l'activité économique des uns nuise parfois au bien-être des autres. C'est ce qu'on appelle les externalités négatives. Avant de prendre une décision, les entreprises pèsent le pour (les bénéfices) et le contre (les coûts). Lorsqu'une partie des coûts est refilée au voisin, le processus de décision est faussé. Normalement, les gouvernements sont là pour empêcher les externalités négatives. Peu de pays autorisent en effet un citoyen à garder sa maison propre en vidant sa poubelle dans la cour du voisin. Mais le problème actuel vient du fait que les externalités négatives se mondialisent plus vite que les gouvernements.
L'ensemble des ressources mondiales forme un tout qui doit être géré de façon globale.
On ne peut plus traiter séparément la gestion des sols, de l'eau douce et des océans, que l'ampleur de l'activité humaine rend interdépendants. Pour accroître la production agricole, par exemple, on vide ou on contamine les nappes d'eau sans en mesurer les répercutions à long terme sur l'équilibre des océans, le climat, voire la désertification! La recherche d'une plus grande efficacité économique dans un secteur particulier se révèle alors coûteuse pour d'autres secteurs. On retrouve ici le phénomène des externalités négatives. Étant donné que ces externalités s'étendent à la planète, le problème devient mondial.
L'utilisation de farines animales pour nourrir les vaches britanniques était basée sur une certaine rationalité économique: une plus grande production à moindre coût. Était-il bien raisonnable de prendre de tels risques pour faire baisser le prix du bifteck de quelques sous? On connaît le résultat: des milliards de dollars de coûts externes et des dizaines de victimes humaines.
Prendre les décisions au bon moment permet d'éviter des coûts inutiles.
On peut toujours objecter que, jusqu'ici, la science et le progrès économique ont toujours eu raison des problèmes. Mais l'on oublie que certains phénomènes écologiques sont cumulatifs et que certaines solutions ne sont que temporaires. Attendre ne ferait qu'augmenter les coûts. Les décisions sont d'autant plus difficiles à prendre qu'il faut choisir entre plusieurs séries de maux: risques climatiques (si l'on continue sur la lancée actuelle) ou risque de pénurie alimentaire (avec une agriculture trop « propre »); risque de pénurie de pétrole (d'ici une quarantaine d'années) ou risques nucléaires (si l'on économise le pétrole). Il nous sera nécessaire de sacrifier certains biens (le droit universel à l'automobile, par exemple) pour en préserver d'autres, et de sacrifier une partie du présent à l'avenir. Il nous faudra continuer de bâtir un système capable d'arbitrer les conflits entre les intérêts particuliers d'une part et entre les besoins immédiats et futurs d'autre part
Les solutions
La solution logique aux problèmes que l'économie moderne et mondialisée cause à la nature et à ses habitants consiste évidemment à tenir compte des externalités négatives. On l'a fait efficacement à l'échelle nationale, il faut maintenant le faire à l'échelle mondiale. Mais comment mettre ce principe en application?
Deux approches contradictoires s'affrontent. Pour l'école dite « anglo-saxonne », la propriété privée est le meilleur garant de la protection des ressources. On a toujours à cœur de défendre ce qui nous appartient et l'on ne se soucie guère du reste. De nombreux exemples confirment ce principe: les fermes privées produisent plus que les fermes d'État, et les terres y sont mieux entretenues; les propriétaires d'un commerce se soucient généralement plus de leurs clients que ne le font de simples employés; le Japon consacre plus d'effort à protéger sa propre faune qu'à sauvegarder les baleines des autres, etc.
Lorsque les biens sont collectifs, comme c'est le cas pour les océans, l'eau potable, l'atmosphère et le code génétique des espèces, le problème se complique un peu. La propriété privée, même assortie d'un devoir moral, ne suffit pas toujours. Seuls les États et les organisations internationales peuvent alors protéger l'intérêt général: c'est l'approche réglementariste de l'école dite « latine ». Sans la protection des lois, une partie du patrimoine universel risque d'être confisquée par des intérêts privés (c'est-à-dire les grandes entreprises).
On a souvent l'impression que la route suivie par l'économie mène inéluctablement au progrès, malgré quelques embûches passagères. Mais savons-nous vraiment où nous allons? Tant que les êtres humains restaient éparpillés sur la planète et que leur mode de vie n'avait que peu d'impact sur la nature, la question était surtout académique et n'intéressait que les philosophes. À l'heure de la mondialisation et de la révolution technologique, il serait bon que les être humains décident de leur avenir économique de façon collective et éclairée. Ce choix n'a jamais été aussi pressant.
Questions: L'environnement, enjeu économique
Discussion par équipe ou en groupe sur les thèmes suivants.
a) Quels sont les problèmes environnementaux causés par l'industrialisation et la mondialisation?
b) Quels devraient être les objectifs de l'humanité en matière d'environnement? Quels sont les coûts économiques occasionnés par la poursuite de ces objectifs?
c) Quelle est la meilleure méthode pour gérer les ressources du globe: propriété privée ou réglementation internationale?
© Extrait de Relations économiques internationales, 3e édition, Renaud Bouret, Éditions Chenelière/McGraw-Hill