La faiblesse congénitale du dollar canadien (surnommé à juste titre huard ou plongeon arctique) suscite périodiquement un débat sur son avenir. Au moment où l'Union européenne vient d'adopter une monnaie commune, ne serait-il pas judicieux d'en faire autant dans la zone de l'ALÉNA? Nous ferons ici une revue des arguments pour et contre la monnaie commune, avant de présenter le point de vue de la banque du Canada (qui est plutôt en faveur du statu quo). Mais pour commencer, quelques lignes du professeur Richard Harris de l'Université Simon Fraser pour qui le choix est tout autre. Selon lui, le dollar canadien est déjà « cuit » mais nous pouvons toujours choisir à quelle sauce.
Dollarisation ou monnaie commune?
« La dollarisation du marché ― c'est-à-dire l'utilisation du dollar américain par le secteur privé ― se porte bien. La plupart des dépôts bancaires au Canada sont déjà libellés en dollars américains et une part croissante de la comptabilité du secteur privé est exprimée en dollars américains. Qu'on le veuille ou non, le dollar américain est en passe de devenir de facto la devise commerciale d'un large pan de l'économie. De plus, le maintien du statu quo d'un système monétaire instable basé sur un dollar flottant accélérerait presque à coup sûr cette tendance à la dollarisation. Celle-ci risquerait, à son tour, de provoquer une période de transition très volatile et imprévisible avec des taux d'intérêt élevés, une fuite des capitaux et des pertes en capital sur les actifs libellés en dollars canadiens comme les obligations et les contrats de travail à long terme. Pour le Canada, la meilleure solution de rechange à la dollarisation serait une union monétaire nord-américaine. » [Extrait de « L'intérêt du Canada envers une union monétaire nord-américaine », Richard Harris, Revue canadienne de recherche sur les politiques, printemps 2000]
Arguments pour et contre la monnaie commune
Pour le maintien du dollar canadien
Pour une monnaie commune
Position de la Banque du Canada sur l'indépendance de la politique monétaire
On prétend que la politique monétaire canadienne est entièrement tributaire de la situation internationale, pour ne pas dire de la conjoncture américaine. Et si son autonomie n'est plus qu'un souvenir, le Canada n'aurait plus grand-chose à perdre en adoptant une monnaie nord-américaine commune. Le gouverneur de la Banque du Canada n'est pas de cet avis, comme on devait s'y attendre. Selon lui, l'existence d'une devise propre au Canada lui a permis à plusieurs reprises de poursuivre une politique monétaire différente de celle des États-Unis lorsque le besoin s'en est fait sentir. Les deux prochains paragraphes résument son argumentation, exprimée lors d'une allocution prononcée à New York. [Allocution prononcée par Gordon Thiessen, gouverneur de la Banque du Canada, devant la Canadian Society of New York (États-Unis) le 9 mars 2000]
Cas où l'autonomie canadienne s'est avérée utile et efficace.
Vers 1997, les gouvernements entreprennent de s'attaquer au problème de la dette publique en comprimant les dépenses et en augmentant les impôts de façon radicale. En même temps qu'elles réduisent le déficit, ces mesures restrictives ont l'effet attendu de freiner la demande et de ralentir la production. Pour neutraliser ce ralentissement, non souhaitable à une époque où le chômage demeure élevé, la Banque du Canada fait délibérément diminuer les taux d'intérêt à des niveaux nettement inférieurs à ceux pratiqués aux États-Unis. Du coup, les exportations (grâce à la dépréciation) et l'investissement (grâce à la baisse des taux d'intérêt) reprennent du poil de la bête. Certes, le PIB canadien fléchit en 1997, au plus fort des coups de hache budgétaires, mais de façon modeste et temporaire.
Lorsqu'on n'a pas la même maladie, il est agréable de pouvoir se soigner différemment.
À la même époque, le choc de la crise financière asiatique (deuxième semestre de 1997) frappe le Canada et les États-Unis de façon inverse. La baisse soudaine de la demande dans les pays d'Extrême-orient fait chuter le cours des matières premières. Or, ces dernières représentent alors 30 % des exportations canadiennes, tandis que les États-Unis en sont des importateurs nets. Malchance pour l'un et aubaine pour l'autre. Le Canada se met à vendre un peu moins de matières premières et surtout à un prix plus bas, ce qui fait baisser ses recettes d'exportations et donc le taux de change de sa devise. Heureusement, le Canada a sa propre monnaie. La dépréciation, amplifiée par la baisse des taux d'intérêt dont il a été question dans le paragraphe précédent, permet de compenser les pertes du secteur des matières premières par des gains dans les autres secteurs. Cette solution n'aurait pas été possible si le Canada n'avait pas eu sa propre devise.
Cette position de la Banque du Canada n'est cependant pas sans faiblesse. L'importance des matières premières dans le commerce extérieur canadien ne cesse de diminuer. En insistant sur ce mythe de l'« économie distincte », le gouverneur de la Banque du Canada court après les coups. Pendant les années qui suivent la crise asiatique, le prix des matières premières reste déprimé et le dollar canadien baisse de façon exagérée. À force d'entendre les autorités dépeindre leur Canada comme un pays de bûcherons, les spéculateurs le croient plus mal en point qu'il ne l'est vraiment, et retirent leurs billes en attendant des jours meilleurs. Le dollar canadien devient nettement sous-évalué, ce qui affecte non seulement le niveau de vie de la population, mais fausse la prise de décision des entreprises.
De toute façon, le but de la politique monétaire canadienne est avant tout de contrôler l'inflation. En ce sens, elle diffère très peu de la politique américaine. En 1997, la faiblesse de l'inflation a permis à la Banque du Canada de relâcher sans risque les taux d'intérêt. Lors de la prochaine alerte, rien ne garantit qu'elle ait encore les coudées aussi franches.
Débat
Répartissez-vous en équipes et distribuez les rôles en fonction des deux thèses suivantes: maintien du dollar canadien ou adoption d'une monnaie commune avec les États-Unis.
© Extrait de Relations économiques internationales, 3e édition, Renaud Bouret, Éditions Chenelière/McGraw-Hill